Le pire c’est lui, le
pire dans toute ça vie, c’est lui. Il ne se supporte pas, ne s’aime pas, se
trouve idiot et impuissant face au monde qui l’entoure, aux gens qu’il
fréquente. Que devait-il faire, que devait-il penser ou corriger pour aller
mieux, se sentir plus intégré ? Bigou est constamment envahit de ces
questions et d’une faiblesse insurmontable, sentiment constant de n’être que
devant un écran de télévision à regarder et à critiquer ce mouvement perpétuel
humain sans pouvoir l’influencer, se sentant à la fois entouré mais
horriblement seul dans sa tête, comme enfermé dans une coquille.
A l’arrière d’une cours sombre et humide, il pense et se
torture l’esprit. Assis là, adossé à la porte en regardant le sol et la lueur
incandescente de son mégot laissé tombé quelques instant plus tôt. Le vent le
balaya et tout redevint noir. Encore une réflexion personnelle sur l’humanité
et sur lui-même rien de pire pour s’auto dégommer. Mais ici il se
sent en sécurité malgré les peurs que la nuit déclenche, sûrement des reflex
ancestraux ou simplement la peur du vide et de l’inconnu. Cette nuit qui ne lui
fait plus peur depuis un moment, depuis l’accident en fait. La seule amie qui
semble le comprendre, toujours à vous écouter sans jamais vous contredire.
Passer des heures dans ses bras à se faire bercer par ce profond moment de
solitude où il a appris que la liberté a un autre goût quand tout le monde
dort. Voilà son petit bonheur de noctambule.
Mais ce soir elle ne déclencha
chez lui que des pleurs, des sanglots retenus, douloureux aussi bien pour la
gorge que pour le cœur. Une douleur mentale devant à tout prix s’échapper de la
tête par les larmes. Il ne savait plus depuis longtemps pourquoi il était triste.
La seule chose qu’il sait à l’heure actuelle c’est que ça lui fait du bien. Une
bonne dose de chagrin est bon pour la santé au même titre que le rire avait il
remarqué. La paix n’existerait pas sans la guerre.
Lepetru s’agenouilla pour ramasser son compas. Une
maladresse handicapante d’autant plus quand c’est ce genre d’objets qu’il
laisse s’échapper. Un peu plus et c’était un trou dans le chat. Il pris son crayon, le mâchonna machinalement dans un
élans de réflexion. Comment rendre possible cette perspective. Toujours le même
problème de perspective de merde. De toute façon il commençait à être trop tard
dans la nuit pour arriver à trouver la solution. Le schéma était exact et
correspondait bien au cahier des charges mais pourtant quelque chose clochait.
Quelque chose de palpable mais d’introuvable, sûrement un défaut de son œil
expert ne voyant que les petits détails des courbes dessinées, des ombres
portées. Il reviendrait dessus plus tard. Trop de concentration ne lui
permettait plus de voir son dessin dans l’ensemble et de trouver cette foutue
erreur de perspective ou pire un oubli d’un détail. Il ne supportait pas les
erreurs de ce type.
Il pris sa veste, son calepin embroché d’un crayon et sortit
de son appartement en se forçant d’oublier son travail. Une coupure nette et
brutale, un retour à la réalité, à ce que nos sens peuvent simplement nous
montrer et notre cerveau interpréter de la façon la plus neutre possible.
Surtout ne plus penser à l’architecture. Se détendre.
Il prit par le Boulevard Lityom un de ses parcours préféré.
Pas un arbre plus haut que l’autre, les lampadaires scientifiquement écartés de
façon a créer au sol une surface maximum d’éclairage tout en garantissant un
moindre coût d’électricité. Budget oblige. De l’espace sur les trottoirs au
bitume lisse, une piste cyclable tout à fait réglementaire et des feux à n’en
plus finir, cauchemar des automobilistes mais soulagement des piétons de la
rude épreuve de la traversée du fleuve noir. Il admirait l’urbaniste qui avait
conçut ce boulevard. Un de ses modèles.
Il sortit de sa veste un petit paquet rose contenant ses
biddees et essaya de s’en allumer un. Avec la difficulté que le vent lui
ajoutait il lui était impossible d’enflammer son briquet. Il faudrait bien un
jour arriver à canaliser les courants d’air de ces villes. Peut être
deviendrait il reconnu grâce à ça se dit il une expression cynique au coin des
yeux. Il se tourna à la recherche d’un endroit abrité du vent. Cette petite
entrée à cinq mètre semblait avoir été imaginé pour lui. Qui sait ce qui se
passait dans la tête des architectes lorsqu’ils construisaient ce genre de
recoins. Peut être simplement à allumer leur clope.
Il s’y engagea et s’aperçu qu’il s’agissait d’une petite
ruelle étroite faisant le passage entre deux bâtiments. Là au moins le feu
fonctionnait. Grand soulagement de tirer sur sa cigarette d’où une odeur de
feuille brûlé se dégagea. Vraiment ce travail lui procurait bien autant de
plaisir que de stress.
Il se mit à regarder dans le fond de ce couloir sans en voir
le bout. La curiosité l’emporta et il tourna le dos à son boulevard chéri pour
ce glisser dans les entrailles de la ville. Il aimait bien se l’imager comme un
corps biologique parcouru d’artère et de petit vaisseau à l’image de cette
ruelle. Le cœur étant la mairie ou bien peut être le quartier commercial. Il
préférait cette vision.
Ici plus aucun éclairage urbain ne s’aventurait plus par
soucis de préserver des coins aventureux que d’économiser de l’énergie. Un
moyen simple de réveiller l’instinct de conquête. La conquête d’un univers
parallèle à portée des jambes.
Il marcha ainsi quelques instants, sa main libre caressant
pour ce guider un mur friable gorgé d’humidité. Même le sol n’avait pas de
revêtement. Parcelle moyenâgeuse d’une ville se voulant moderne. Il arriva sur
une petite cours tout aussi boueuse. Seulement une vielle porte massive
encastrée dans le mur d’en face. Voilà donc la fin de son trajet. Une porte
clause dans un endroit glauque. Il se retourna pour apercevoir la lueure
rassurante du boulevard et jeta alors un regard légèrement méprisable sur la
porte cause de la fin de son parcourt. Il finit par se décider à rebrousser
chemin. Son biddees éteint il en profita pour le rallumer tant que le vent ne
l’avait pas trouvé. Encore un endroit qu’il ne pourrait visiter, sa frustration
la plus profonde étant de ne pas tout connaître de cette ville. Désir
impossible à assouvir mais aiguisant sa motivation à créer lui même ces
recoins. Il commença à remonter vers la lumière sa cigarette dans une main et
l’autre dans une poche de sa veste.